mardi 12 octobre 2010

Le Pamphlet des Pamphlets (1824)

Il faut se résigner à relire ces écrivains du passé qui nous donneront longtemps encore des leçons de liberté face aux pouvoirs dont seules les apparences ont changé

Donato Pelayo, journaliste et écrivain contemporain


Hasard du calendrier, cet article sur Paul-Louis Courier, le contestataire et pamphlétaire du XIXe siècle, tombe justement le jour d’une mobilisation record contre une réforme gouvernementale, jour d’expression publique d’un incroyable mécontentement citoyen !

Quel rapport, me demanderez-vous, peut-il bien y avoir entre une manif de Montparnasse à Bastille et Le Pamphlet des Pamphlets (1824), l’œuvre phare de cette figure littéraire un peu effacée dans la mémoire culturelle collective ? Et bien, c’est que l’un comme l’autre sont issus d’un mécontentement assez grandiose, auquel n’arrive pas à répondre le Pouvoir, et qui, parfois, va jusqu’à le réprimer (Courier fut condamné à de nombreuses reprises pour ses indécents ouvrages) !

Mais,laissons plutôt parler l’auteur : j’ai choisi pour vous quatre passages qui, sur les 17 pages de l’œuvre, m’ont amusé le plus : j’espère que vous apprécierez la force critique qui transparaît terriblement dans ces quelques phrases et surtout la définition que livre Courier du terme "pamphlet" (ce qui a d'ailleurs fait qu'on l'a longtemps considéré comme créateur du genre, c'est vous dire)…



Il me dit alors : « Votre pamphlet […] par exemple, je ne le connais point ; je ne sais, en vérité, ni ne veux savoir ce que c’est : mais on le lit ; il y a du poison. […] C’est le poison, voyez-vous, que poursuit la justice dans ces sortes d’écrits. […] Imprimez, publiez tout ce que vous voulez, mais non pas du poison. Vous avez beau dire, monsieur, on ne vous laissera pas distribuer le poison. Cela ne se peut en bonne police, et le gouvernement est là, qui vous en empêchera bien. »

Accusé, poursuivi, mon innocent langage et mon parler timide trouvèrent grâce à peine ; je fus blâmé des juges. Dans tout ce qui s’imprime, il y a du poison plus ou moins délayé, selon l’étendue de l’ouvrage, plus ou moins malfaisant, mortel. De l’acétate de morphine, un grain dans une cuve se perd, n’est point senti, dans une tasse fait vomir, en une cuillerée tue, et voilà le pamphlet.

Parler est bien, écrire est mieux ; imprimer est excellente chose. Une pensée déduite en termes courts et clairs […], quand on l’imprime, c’est un pamphlet, et la meilleure action, courageuse souvent, qu’homme puisse faire au monde.

L’auteur [Pascal] se déshonorait en employant ainsi son temps et ses talents, écrivant des feuilles, non des livres, et tournant tout en raillerie, au lieu de raisonner gravement : c’était le reproche qu’ils [les jésuites] lui faisaient. […] Qu’est-il arrivé ? La raillerie, la fine moquerie de Pascal a fait ce que n’avait pu les arrêts, les édits, et a chassé de partout les jésuites. Ces feuilles si légères ont accablé le grand corps. Un pamphlétaire, en se jouant, met en bas ce colosse craint des rois et des peuples. La Société tombée ne se relèvera pas, quelque appui qu’on lui prête ; et Pascal reste grand dans la mémoire des Hommes…



Assez intéressant, n’est-ce pas ?

Rappelons que c’est de ce « grand récit militant », de ce pamphlet, que Balzac dira, en 1830 : « Cette portion de l’œuvre de cet homme remarquable ne saurait être populaire : il y a quelque chose de trop élevé dans ce style concis, trop de nerf dans cette pensée rabelaisienne, trop d’ironie dans le fond et la forme, pour que Courier plaise à beaucoup d’esprits […] Les œuvres de Courier ne se réimprimeront pas, mais elles seront achetées par tous les hommes de goût et d’érudition. »

En quoi, par bonheur, Balzac se trompa.

On les réimprima dès 1834, puis en 1837, et très régulièrement par la suite. Et, comme Les Mémoires de De Gaulle, les Œuvres de Courier furent éditées dans la très prestigieuse collection de la Pléiade !

3 commentaires:

  1. J'ai oublié de l'écrire dans l'article, mais j'ai récemment découvert qu'ils ont ce bouquin au CDI...
    Si jamais ça vous tente de devenir "homme de goût et d'érudition", comme le dit Balzac...

    PS : Je m'aperçois que j'écris trop quand je fais mes articles... Va falloir que j'apprenne à me bâillonner, ou du moins à être plus concis...

    RépondreSupprimer
  2. Je sors de ton article premierement triste de le quitter déjà mais surtout heureux de m'être cultiver
    Du coup le pamphlet m'intéresse! jirai bien le lire, mais à condition que tu acceptes de commenter certains passages.
    Bel article, tous de mots vêtu!

    RépondreSupprimer
  3. Lutter par la plume
    et pourquoi pas, au fond?
    l'idée est séduisante
    et la jeunesse hardie
    mais contre quoi, en fait?
    et au nom de quoi?
    des précisions s'imposent
    et l'abondance des mots, parfois
    cache
    ceux qui ne sont pas dits.

    RépondreSupprimer