mardi 19 octobre 2010

Un oiseau enveloppé de brumes


De Jules Renard (1864-1910), on n'a, de tout temps, retenu que Poil de Carotte (1894), fameux roman qui met en scène les quotidiennes humiliations du jeune François Lepic, symbole de l'enfance maltraitée, oppressée par une figure maternelle haineuse et terrifiante, à mi-chemin entre la marâtre de Cendrillon et l'effroyable Mme Vingtras.

Pourtant, l'œuvre de Renard la plus dense, la plus intéressante, mais parfois peut-être, la plus hermétique, reste son Journal, publié entre 1887 et 1910. Chronique de sa haine ordinaire, de la bêtise des gens qu'il côtoie comme de l'hypocrisie de la société dans laquelle il vit, le Journal de Renard est souvent féroce– à juste titre-, mais aussi amer, empli de désillusion, sur ce qu'il est et sur ce qu'il écrit.

Bref, plein de petites phrases assassines mais souvent très belles. Des phrases écrites sur l'instant, sèches, parfois incompréhensibles et parfois dignes des plus beaux haïkus japonais (le vent passe dans les feuilles sa main invisible).

C'est de cette écriture concise et nerveuse, propre à Renard, que parlera Sartre dans ses Situations, I : selon lui, Renard fait acte d'une tentative acharnée de se détruire et parallèlement à cela d'un morcellement systématique de la grande période flaubertienne.

Il rajoutera même : ce moribond témoigne d'une sorte de catastrophe […] qui est à l'origine de la littérature contemporaine.


Quelques unes des ses plus belles phrases :

C'est une erreur commune de prendre pour des amis deux personnes qui se tutoient.
Croire humain ce qui ne nous est que particulier, voilà la grande erreur.
Les bourgeois, ce sont les autres.
Quand on a plus à compter sur rien, il faut compter sur tout.
Dans une carrière, j'arrache avec mes ongles des cailloux polis : je ne construirai jamais rien.
J'aime la solitude, même quand je suis seul.
Je sais nager juste assez pour me retenir de sauver les autres.
Si je disais tous ceux que je n'aime pas, il me resterait trop peu d'amis.
Jésus Christ avait beaucoup de talent.
Il n'est pas nécessaire de vivre, mais il l'est de vivre heureux.
Un temps gris, sans soleil, comme si on habitait sous la mer.
La neige sur l'eau : le silence sur le silence.
Il y a des moments où tout réussit. Il ne faut pas s'effrayer : ça passe.

Je veux me lever, cette nuit. Lourdeur. Une jambe pend dehors. Puis un filet coule le long de ma jambe. Il faut qu'il arrive au talon pour que je me décide. Ca séchera dans les draps, comme quand j'étais Poil de Carotte.


Le Journal s'arrête là : Jules Renard mourra un mois après la rédaction des cette phrase…

4 commentaires:

  1. Tout d'abord, merci! J'ignorais que Jules Renard avait écrit un journal...et je suis subjugée par la phrase "La neige sur l'eau : le silence sur le silence." Ne me demandez pas pourquoi, je la trouve magnifique.

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  2. De rien, chère Mlle Pissenlit ! ^^
    Je dois avouer que c'est une phrase qui me touche également beaucoup... Très belle, très calme...
    :)

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  3. Merci ! j'en apprend plus chaque mardi :)

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  4. Mais c'est qu'il nous
    dessinerait un avenir,
    l'animal, avec tous
    ses portraits
    littéraires
    au sépia
    merci
    toi

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