jeudi 30 août 2012

Je me souviens du "Je est un autre" de Rimbaud

Texte trouvé sur "http://ici-et-ailleurs.org" par Jean-Cyril Vadi




« Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute » Rimbaud dans une de ses lettres à Paul Demeny.
Je est un autre. Je me souviens de cette formule de Rimbaud. Et tout à coup, la beauté de ce court-circuit, l’étrange beauté de cette formule magique derrière laquelle j’ai si souvent couru, jeune, s’écrase sur l’évidente réalité, là, à mes pieds…. Je est un autre… Ça fait longtemps que ça n’est plus le cas.
Mais l’autre est un je. Voici la nouvelle proposition. L’autre est un même. L’autre c’est moi et j’irai voir là-bas si j’y suis.
La plus grande réussite du capitalisme, c’est qu’on ne peut plus le penser en négatif, comme on dirait de la photo, et d’ailleurs, le négatif photo disparaît des rayons et du vocabulaire. Du vocabulaire, donc des rayons. L’autre est en voie d’extinction. Il n’y a plus d’ombre. Il ne reste plus que le même. Et cette société libérale et démocratique continue malgré tout de nous proclammer l’autre existe, je l’ai rencontré. Elle continue de le chanter à tue-tête. Elle ne fait même que ça : se peindre le visage aux couleurs de la diversité, de la multiculturalité, de la pluralité, et tout ça dans un seul but : que tout soit égal à tout et réciproquement.
Avec la mort du communisme soviétique comme alternative à ce modèle politique, économique et social, notre capitalisme a définitivement enterré toutes les alternatives. C’est-à-dire tous les possibles. Plus d’alternative, plus d’ombre, plus d’autre, plus de diable, plus de quête de soi en somme et comment trouver l’homme dans l’homme ?
C’est ainsi que le pouvoir a absorbé en son sein la contestation, et c’est ainsi que la culture a dévoré l’artiste. La subversion s’est désormais rangée du côté de la subvention. Elle ne manquait pas d’R, elle a la N. On subvient au besoin de l’artiste. Emu, animé du souvenir inconscient d’avoir été bouffon à la cour d’un duché, l’artiste parade, exulte même. Il n’y a plus dans les maisons de la Culture que des tartuffes. Ce qui me désole c’est que personne ne semble en prendre la mesure. Si Molière était là, c’est pourtant sur eux qu’il écrirait. Ce sont eux les sujets de ses pièces aujourd’hui. Les artistes des Maisons de la Culture sont passés de l’autre côté, séduits par le côté obscur. Ce sont de vrais agents culturels, comme on parle d’agent microbien, et ils se sentent dans ses maisons comme chez eux. Quand par hasard l’un d’eux fait de la résistance, il est mal à l’aise. Qu’il soit français ou argentin peu importe. Il est le même, car notre pensée libérale et démocrate s’est propagée partout. C’est la nouvelle norme – logique, elle érige son empire sur des valeurs qui sont les mieux partagées du monde, celles des droits de l’homme. Qui n’en voudrait pas ? Quelques fous, quelques esprits totalitaires semblent y renoncer, mais moins pour eux-mêmes que pour les peuples qu’ils dominent. Hélas, voilà ce que la France a fait en voulant bien faire : elle a fait le bien.
Ce qui est totalement différent, et elle aurait du se rappeler qu’il n’est pas bon de faire aux autres ce qu’on ne veut pas qu’on fasse à soi-même, elle aurait du s’abstenir de le faire.
Le pouvoir a eu l’intelligence de reconnaître les contestataires comme ses enfants légitimes, et il a eu l’intelligence redoutable de le murmurer à l’oreille des dissensuels : vous êtes nos enfants. Les artistes donc, ceux qui en étaient en entrant par l’entrée des artistes, sortent en agent culturel par l’entrée du public, dévoyés, malheureux, la queue entre les jambes, et rarement la tête haute - sauf à connaître l’insuccès. Car qu’est ce qu’un artiste qui provoque le consensus ? Un agent culturel. La culture c’est ce qui rassemble, ce qui nous réunit, nous unifie, nous fédère, c’est tout ce que l’on partage ; un artiste n’a rien à voir là-dedans. Celui qui est entré le savait. Celui qui est sorti l’a oublié ou l’oubliera.
Intégrer la contestation, et l’entretenir : Il n’y a pas plus belle réussite pour une société. Le pouvoir a intégré le contre-pouvoir, en lui donnant les moyens de subsister. Les Maisons de la Culture, emblème de notre pays ont fait de même. La contre-culture ? C’est nous qui la détenons, vomissent-elles. Voyez : on la fabrique, même ! Certes, elle n’aurait pas si bien réussi cette œuvre-là sans les artistes eux-mêmes, qui se sont laissés prendre au jeu, puis au piège.
Alors ils crachent dans la soupe. Ils font des spectacles contestataires dans lesquels on peut voir et entendre s’exprimer une pensée individuelle critique, un point de vue personnel sur le monde. Et font dire par leurs acteurs fuck la culture. Et tout le monde applaudit, car l’artiste, le vrai est celui qui mérite et reçoit une standing-ovation, éphémère oscar offert à tout-va par une bande de décervelés convaincus d’être dans l’intimité de l’artiste en partageant sa vision des choses. Sauf que (et je veux croire que l’artiste le sait) à y regarder de plus près, il n’a hurlé sa haine du bourgeois qu’à des bourgeois, et lui-même en est un puisqu’il est là, parmi eux, et qu’il est leur frère en tous points pareils. Il a la haine de soi. Il a dit Merde à la culture, je chie sur la culture, et il ce faisant fait de la culture. Car c’est bien de la culture qu’il s’agit. Il dit encore, en passant, merde aux institutions qui l’on nourrit et le nourrissent précisément pour qu’il puisse le dire, qu’il le dise, et qu’elles l’entendent le dire.
Et il ne voit pas à quel point sa position est ridicule. Tout comme celle des institutions, et en premier lieu du Directeur de la Maison de la culture.
Le Directeur de la Maison de la culture : Je suis très heureux de produire et d’accueillir un artiste comme X, qui renouvelle le genre théâtral et n’a pas peur de nous traiter comme des merdes L’artiste X : je leur en ai mis plein la gueule, et ils me payent pour ça !
L’artiste le sait ; mais on ne se ment jamais qu’à soi-même.
Les maisons de la culture sont une hérésie, une machine à fabriquer du prêt à penser ; pleine à craquer durant les soldes. Les billets des spectacles y sont souvent soldés (soldés, c’est à dire vendus, en franglais) avant même que la saison ne commence. Tout ce qui est louche, et qui devrait alerter tout esprit un tant soit peu mutin, critique, enfin quiconque ayant du recul, tout ce qui est suspect pour n’importe quelle âme douée de bon sens devient normal, devient entendu, et pire : est regardé positivement. Or qu’y a-t-il de si bien que ça dans le fait que le but avoué de ces lieux est de vendre tous les billets de spectacles dés le mois de juin ? Absolument rien, sauf à être du côté des marchands de billets, des marketeurs, des épiciers de la culture, c’est-à-dire du pouvoir - ce que tout le monde semble avoir intégré au point précisément d’en être.
De tous les sentiments que je vis devant ce totalitarisme de la bien pensance, ce terrorisme intellectuel, c’est l’effroi qui domine. Viendra le temps du Ministère du Bonheur où un Ministre en espadrilles nous parlera du grand projet Un câlin pour la République.
L’ultime réussite de la société est donc bien d’avoir fait croire à chacun d’entre ses sujets que l’autre n’existe pas. Qu’il n’y a pas d’issu. Qu’il n’y a que dissolution de l’autre dans le même. Pas d’autre donc pas de dialogue, pas d’espace à franchir entre et encore moins de mur à faire tomber. Or, sans cet espace entre l’autre et moi, comment donc parler encore, et pourquoi ? Le processus par lequel elle est parvenue à cette réussite-là qui mérite d’être saluée est de s’être muée en spectacle. Et d’avoir fait croire au peuple qu’il était un acteur fabuleux.
Ainsi je me suis extrait non sans peine de mon milieu. Non sans peine ou plutôt après un long temps de maturation. Le milieu artistique en réalité milieu culturel est de tous les milieux le plus détestable car il s’érige partout en modèle. L’échec de Je te connais depuis longtemps auprès des experts du milieu, à été ma croix, ma souffrance et mon salut. C’est grâce à cette pièce dont la mise en scène n’est pas complètement parvenue à rendre compte de la violence, grâce à cette pièce qui n’a pas eu d’écho dans le milieu culturel que j’ai pris conscience.
La peur de dire tout haut ce qu’ils pensent, fait se taire beaucoup d’artistes. Ils ne sont pas nombreux à survivre dans le milieu culturel. Dans ce milieu dont l’objectif avoué mais passé sous silence, est de détruire toute expression de soi est de désavouer toute tentative de révolte, de faire taire les artistes en somme. Dans ce milieu on est d’accord. Le Directeur de la Maison peut inviter un grand journal de gauche et le peuple venir écouter les tribuns, il n’en demeure pas moins qu’on ne débat pas. Il y aura des esprits rétifs à ce constat pour m’affirmer le contraire, amis mais je maintiens qu’on ne débat pas entre mêmes. On s’ébat, on s’ébahit, on fait beaucoup de bruit pour rien. Le débat n’est pas là. Et la vie est ailleurs.