mardi 23 novembre 2010

Que ferons-nous de ce(s) mari(s) jaloux ?...

Il ne faut se fier aux femmes en fait de littérature que pour les choses de la délicatesse et de la nervosité. Mais tout ce qui est élevé et haut leur échappe […] En résumé, ne t'en rapporte jamais à ce qu'elles diront d'un livre.

11 janvier 1851, Gustave Flaubert à Ernest Feydeau


Lorsque j'ai découvert ces quelques phrases d'une petite lettre de Flaubert, je dois avouer que je savais que je n'avais pas affaire à l'écrivain le plus engagé dans la cause des femmes de son époque. Certes. En effet, celui qui déclarait à son amie Louise Colet, deux ans plus tard, qu'elle faisait "de bons vers comme une poule pond des œufs, sans en avoir conscience", car c'est "dans sa Nature, c'est le Bon Dieu qui l'a faite comme ça", a beau s'être par la suite réclamé de la Bovary (ce qui, au passage, n'a jamais été prouvé, et cette phrase, sinon par colportages et ouï-dire, n'aurait en fait jamais été prononcée par son auteur…), on a bien du mal à imaginer la part féminine du petit Gustave !

Enfin bref…

C'est pourquoi, je me suis dit que cela serait assez intéressant d'interroger, de montrer une part de l'imposante envergure de la littérature fémini -n/st- e, et ce, à travers des figures littéraires un peu moins exposées que Sand, Colette ou Virginia Woolf… Bref, encore une fois, pas forcément les auteurs les plus lues (Christine de Pisan, Pernette du Guillet ou Lucie Delarue-Mardrus), mais des auteurs qui sont tout autant que les autres justes.

Ainsi donc commencerais-je en vous présentant un poème (à la valeur esthétique incontestable et porteur d'un message à la fois drôle et sensé) de Christine de Pisan (1364-1430).

Cette dernière a une histoire assez particulière puisqu'elle ne commencera à étudier (pour gagner sa vie) et à écrire qu'en 1390, après la mort de son mari : la tutelle masculine/maritale est on ne peut plus étouffante au Moyen-Age ! Très considérée de son vivant, en France comme à l'étranger (ses protecteurs achètent ses manuscrits comme des petits pains), Christine de Pisan est surtout renommée pour être la première femme de lettres à vivre de sa plume (auparavant, on ne connaît que Marie de France, ses lais et son Dict d'Ysopet), et surtout l'une des toutes premières féministes (dans plusieurs de ses œuvres on trouvera des théories très modernes pour son époque sur "la nature féminine") !

Voici donc l'une de ses Ballades (forme fixe avec un refrain et traditionnellement un envoi, c'est à dire un "couplet-apostrophe" à une entité ou autorité supérieure, telle "Prince", "Comte" voire "Amour"; notons ici que le genre commence d'ailleurs, entre les XIVème et XVème siècles à faire fureur à la cour, avec des poètes comme Guillaume de Machaut, Eustache Deschamps, François Villon ou Charles d'Orléans), que j'ai trouvée personnellement assez irrésistible, et qui me ferait penser aux scènes de cocufiage des Contes de Canterbury de Chaucer, ou à sa superbe adaption par Pasolini (film au titre éponyme) :


Que ferons-nous de ce mari jaloux ?

Je prie Dieu qu'on le veuille écorcher.

Il monte tant la garde près de nous

Que ne pouvons l'un de l'autre approcher.

A male hart qu'on le puisse attacher,

Le vil vilain, de goutte contrefait

Qui tant de maux et tant d'ennuis nous fait !


S'il pouvait être étranglé par des loups !

A quoi sert-il sinon à empêcher !

A quoi est bon ce vieillard plein de toux

Fors à tancer, rechigner et cracher ?

Veuille le Diable l'aimer, le garder !

Je le hais trop, l'arné, vieil et défait

Qui tant de maux et tant d'ennuis nous fait !


Ah ! qu'il mérite qu'on le fasse coux [= cocu]

Le babouin qui ne sait que chercher

Par la maison –et quoi donc ?- puis secoue

Un peu sa peau pour s'en aller coucher.

Qu'il dévale d'un coup les escaliers,

Et sans marcher ! ce maudit aux aguets

Qui tant de maux et tant d'ennuis nous fait.

5 commentaires:

  1. Le poème est délicieux. Ton article est délicat. - Est-ce ] que tu continueras sur cette même poétesse les prochaines fois? Si oui, j'acquiesce!

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  2. "Il est délicat (...)" : est-ce délicatesse ?
    Ah ah ^^ !

    Merci en tout cas cher Gaston ! Cependant, désolé je ne continuerai pas sur la même authrice/authoresse ! Je vais aller un peu plus loin, voir si on sait être aussi critique dans les siècles qui suivront !
    Mais, promis, tu verras, le texte de Sarraute que je posterai, qui n'est pas du tout dans le même registre, est tout aussi acerbe et "exhilarant" !

    Tiens, au fait, triste coïncidence, demain sera la "Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes" : malheureuse preuve que de nos jours encore la bêtise blesse et tue...

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  3. Cocufiage,
    phantasme
    d'assassinat:
    nous sommes
    en pleine
    délicatesse...

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  4. Je ne sais pas si c'est parce que je suis du côté opposé de la force (sexe féminin 8D) mais le poème pour moi, de délicieux il n'a rien. Malaise, voilà le mot après lecture. Et un peu de compréhension, aussi. Qu'il disparaisse, conbien on peut le hair et le mépriser à la fois cet homme qui a l'autorité sur notre vie, sans lequel tant de liberté nous serait possible, tant de contraintes disparaitraient!

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  5. j'aime bien et aussi non

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