mardi 2 novembre 2010

Nous apercevions déjà l'hôtel...

Tout d'abord, excusez-moi de ne pas avoir publié mardi dernier : n'étant pas là, j'aurais pu certes le faire auparavant mais… ah, la paresse : terrible, ça ! Enfin bref…

Je voulais rompre ma série d'habituels articles sur les polémistes en tout genre pour vous faire [un peu] part de l'endroit où je suis parti la semaine dernière, et surtout vous parler d'un homme bien particulier qui y vint, en son temps, également régulièrement.
Cet endroit, c'est Cabourg (Normandie) et, forcément, cet homme, c'est Marcel Proust, qu'il serait juste impossible d'essayer de présenter en une vaine vingtaine de lignes, en un ridicule article de quelques phrases… Auteur d'A la recherche du Temps perdu (qui n'est –ô grand Dieu !- ni une autobiographie, ni un simple roman, à la limite un roman personnel mais, au final, qui est ce que c'est, et connaître sa nature exacte, on peut s'en passer), il séjourna à Cabourg, devenue Balbec dans son œuvre (comme Illiers, sa ville de naissance, deviendra Combray…), et particulièrement dans son Grand Hôtel.

Bordant la Manche, à l'architecture typique de l'art nouveau (bien que construit dans les années 1860, c'est-à-dire un peu en avance de ce style), cet hôtel inspirera à Proust les plus belles pages descriptives de son œuvre, dont des panonceaux heuristiques rappellent aujourd'hui aux touristes américains égarés quelques extraits, aux alentours de la promenade, portant par ailleurs le nom de son illustre flâneur.

Honte à moi, qui nous compare ainsi à ces "touristes américains égarés" que je viens si injustement de décrier, puisque je vous livre ces extraits, et surtout les photos qui vont avec !
Have fun, and read Proust !

Nous apercevions déjà l’hôtel, ses lumières si hostiles le premier soir, à l’arrivée, maintenant protectrices et douces, annonciatrices du foyer. Et quand la voiture arrivait près de la porte, le concierge, les grooms, le lift, empressés, naïfs, vaguement inquiets, de notre retard, massés sur les degrés à nous attendre, étaient devenus familiers, de ces êtres qui changent tant de fois au cours de notre vie, comme nous changeons nous-mêmes, mais dans lesquels au moment où ils sont pour un temps le miroir de nos habitudes, nous trouvons de la douceur à nous sentir fidèlement et amicalement reflétés. Nous les préférons à des amis que nous n’avons pas vus depuis longtemps, car ils contiennent davantage de ce que nous sommes actuellement. Seul «le chasseur» exposé au soleil dans la journée avait été rentré pour ne pas supporter la rigueur du soir, et emmailloté de lainages, lesquels joints à l’éplorement orangé de sa chevelure, et à la fleur curieusement rose de ses joues, faisaient au milieu du hall vitré, penser à une plante de serre qu’on protège contre le froid. Nous descendions de voiture, aidés par beaucoup plus de serviteurs qu’il n’était nécessaire, mais ils sentaient l’importance de la scène et se croyaient obligés d’y jouer un rôle.
A l'ombre des jeunes filles en fleurs (deuxième tome de l'œuvre proustienne)


C’est qu’un matin de grande chaleur prématurée, les mille cris des enfants qui jouaient, des baigneurs plaisantant, des marchands de journaux, m’avaient décrit en traits de feu, en flammèches entrelacées, la plage ardente que les petites vagues venaient une à une arroser de leur fraîcheur; alors avait commencé le concert symphonique mêlé au clapotement de l’eau, dans lequel les violons vibraient comme un essaim d’abeilles égaré sur la mer. Aussitôt j’avais désiré de réentendre le rire d’Albertine*, de revoir ses amies, ces jeunes filles se détachant sur les flots, et restées dans mon souvenir le charme inséparable, la flore caractéristique de Balbec; et j’avais résolu d’envoyer par Françoise un mot à Albertine, pour la semaine prochaine, tandis que, montant doucement, la mer, à chaque déferlement de lame, recouvrait complètement de coulées de cristal la mélodie dont les phrases apparaissaient séparées les unes des autres, comme ces anges luthiers qui, au faîte de la cathédrale italienne, s’élèvent entre les crêtes de porphyre bleu et de jaspe écumant.

* Albertine est l'une des "jeunes filles en fleurs" dont le narrateur tombe peu à peu amoureux, et qu'il observa s'ébattre avec ses amies sur la plage de Balbec…
Sodome et Gomorrhe (troisième tome de l'œuvre)

PS : Il faut croire que la Normandie est un véritable Eden pour les écrivains puisqu'à trois pas de là habitaient, à Honfleur, Sagan (une autre adepte de Proust...) et à Trouville (pendant un temps, à l'hôtel des Roches Noires), Duras. Ah ! les normands et la littérature...

5 commentaires:

  1. Flaubert
    eut un procès avant d'avoir un pont à Rouen;
    Proust
    figura sur la liste noire des nazis avant d'avoir sa digue à Cabourg;
    Duras,
    bien avant d'avoir sa médiathèque à Paris
    trouvait, tous les matins,
    un petit cercueil cloué
    sur sa porte...
    normande

    RépondreSupprimer
  2. Pourtant...
    En 1684, pour la mort de Corneille, une marche en hommage au dramaturge compta des milliers de rouennais dans les rues. A peu près un demi-siècle plus tôt, Malherbe eut pour sa mort une statue de lui rue Saint-Pierre, et une plaque commémorative fut apposée, pour le tricentenaire de son décès, sur sa maison (d'ailleurs déjà classé monument historique)...
    De même pour Allais et Leblanc... Celle de Barbey enfin devint musée...
    Hum... Si fachos que cela, nos amis les 'Normaunds' ?
    ^^

    RépondreSupprimer
  3. Article super-be ! Conte nous davantage, mais cette fois-ci sous ta plume, les beautés normandes (les paysages, pas les vaches).

    RépondreSupprimer
  4. Un article très intéressant. Merci de nous apprendre tout cela, histoire qu'on ne meurt pas idiots ^^

    RépondreSupprimer
  5. Merci beaucoup Gaston (dont je m'empresserai de suivre le conseil ! ^^) et Tiphaine (dont l'expression "histoire qu'on ne meure pas idiots" me fait étrangement penser à quelqu'un...^^) !

    RépondreSupprimer