vendredi 14 décembre 2012

Quoi faire quoi dire

Que dire quoi faire
Prendre sa gorge de haut
ou gravir son nez que dire
Quoi faire Oser le dire !
Oser se le permettre !
Lui dire combien elle est
combien elle est
combien elle est
laide ! Combien il est
mal de lui dire de le 
faire Combien elle est
laide laide ! laide
Combien c'est dur de
se le dire à soi
combien elle est
laide laide mais
soyeuse
Combien elle est 
douce douce et
heureuse
Combien le lui dire
sans tout lui gâcher



Oh combien je suis las!
de ne pas le lui dire
de ne pas le faire
de ne pas me mettre
là où tout se dit
où elle pourrait savoir
combien elle est 
laide laide laide
Mais pas comme ça
quand même pas ça
Tout mais pas ça
comme on dit
Comme on fait 
comment fait-on déjà
pour dire ces choses là
pour faire 
pour parfaire ce que les
autres disent
Mais je ne veux pas médire
simplement le lui dire
sans que ça l'embête
ou si elle le veut bien
lui faire dire ce qui 
me fait rire
rire
rire


Mais combien elle est laide
quand bien même je l'avoue-
Rai 
Combien elle est lasse
et douce et lascive 
et combien elle est
belle alors
heureuse et lascive


Et c'est d'elle que je suis
fou fou fou 
de partout de tout temps
et pourtant elle est laide
et pourtant je salive
et pourtant je souris
et partout je suis seul
Le seul à la voir
Le seul à en rire
Le seul à l'admir-
Rer
Je suis seul et bien sale
d'en rire comme ça
Puis-je l'admettre sans nos sourires compromettre
je suis seul et bien sale
elle est douce et bien laide


Et combien c'est lassant

de ne pas le lui dire
quelle laideur je ressens
A la vue du sourire



Et ça me fait rire

combien elle est laide
ça me fait rire et
ça fait souffrir 
un peu
de ne pas le lui dire
Lui dire quoi


Mais combien elle est 

belle
Quand elle danse quand
elle dit
combien je suis fou
A ne savoir que rire
en silence
quand je vois son sourire
et ses dents
Oh combien elle est laide !



Mais je ne sais que faire 

que dire que taire
Elle n'est pas toute laide
même beaucoup jolie

Et ça la fait rire rire rire
de me voir sourire
devant son sourire
Oh combien il est laid!
Oh combien je suis laid
de penser ces choses là
Et ça me fait rire rire
rire rire


Combien est-elle

belle ?
Autant que je ris
C'est à dire beaucoup
Elle est belle et j'en ris



Et ça la fait sourire

Et alors je suis fou
car je trouve laid
le beau et joli le laid
Joli le laid !




Oh comme j'aime sa tête
elle me prend pour un fou 
quand je ris d'une laideur 
qui n'est pas que la sienne
Elle me prend pour un fou

Me prend-elle pour une bête


Je souris à tâtons 
pour ne pas trop lui dire 
pour ne pas trop en faire
et je m'entête à en rire
Oui je souris à en rire

Oh comme je suis las!
de ne pas lui soumettre
ce qui me fait rire 
et perdre la tête Elle est
belle elle sourit
Et moi j'en ris
et moi j'en ris


Et ça la fait bien

rire Et alors j'en 
salive
de la trouver si
belle
de ne la trouver laide
Et de ne point le lui dire
Quoi faire quoi dire
Quoi oser se permettre
sans se trouvez bête
devant elle
                   devant elle
                                       devant son sourire
si joli si joli



Quoi faire quoi dire
devant ce
jovial joyau
Elle est belle et j'en ris

2 commentaires:

  1. La bascule du souffle
    C'est un poème glaçant : glaçant parce que le souffle d’air froid provenant de toutes les chausse-trappes posées ça et là par le poète, ce vent coulis cher à Beckett, nous siffle aux oreilles, ne nous laisse aucun repos. Ni dans l’amour, ni dans le rire. Poème dont le message final, message d'ouverture, cette apothéose du "la", du "sa", du "Elle", et sa théophanie (comme empêchée, non-révélée, très perturbante) ne parviennent pas même à gommer la prégnance du "laid", du "las", de la colère, de la fatigue, du doute. Du doute qui ne dit jamais son nom et ne se pose jamais vraiment comme interrogation, mais qui reste, lui-même, dans l'inexprimé (un seul point d'interrogation, et qui porte non sur le "laid", mais sur, au contraire, l’un des rares "belle" qui aurait -croit-on- donné une stabilité rassurante au poème).
    Le glaçant jusqu’au rire : ce "rire" métaphysique, un peu méphistophélétique - pas un rire de connivence, mais de simple balance de la crainte. Non pas rire pour quitter la peur, mais pour "penser à autre chose", sans toutefois croire vraiment l'avoir éliminée, l’avoir chassée de son esprit. Car la peur est là ; la balance du rire jaune n'y peut rien. La balance ! Car tout le poème est comme posé sur cette incertitude ambiante ("Joli le laid !"), ponctué d'exclamations schizophréniques !
    Qui est quoi, qui est je, que dis-je et que me dit-Elle, que dois-je lui dire ? Parce qu'évidemment, à ce sens qui se terre et à cette peur qui surgit à chaque instant se rajoute cette question morale : cette question qui est le sous-bassement même du poème. C’est ce savoir (ce non-savoir plutôt) vis-à-vis de ce qu’il convient de faire, de dire, d’être, face à Elle (qu’importe, à vrai dire, ce que ce Elle implique) qui est à l’origine de la peur, de la crainte, du rire maigrement consolateur. Entre ce que je suis et pense et ce qu’il est convenu de dire, ce combat tendu, perdu d’avance, entre le langage qui fixe mes mots sur le papier et le langage qui m’agrège à Elle : c’est un jeu de dupes. Parce que la partie est perdue d’avance ! Elle a gagné, je m’absous, je me dissous – Elle me dissout, dissout mon langage, ma poésie se dissout ; les trois types de récroquevillement poétique se confondent. Le satanique beau triomphe et c’est Baudelaire porté au pinacle ! Mais, une chose, une simple et seule chose est sûre : « Elle est belle et j'en ris ». Rien à faire : le rire contre la peur et toujours là ; parce que le Grand Ennemi du Beau, l’incertain, le Doute terrifié est toujours en balance de l’esthétique (d’ailleurs, « Belle » n’est jamais présent que 6 fois dans le texte, c’est-à-dire relativement peu, cependant hors du lien sémantique [très fort] qu’il conviendrait d’analyser entre le « bElle » et le « Elle »…).
    La question douteuse, c’est : « Quoi dire ? » (19 occurrences du « dire » sous toutes ses formes). A cela, pas de réponse (l’interrogation c’est le « combien » [21 occurrences], qui est à la fois, certes, indication exclamative de l’incomptable, mais aussi et surtout la question, l’interrogatif quant à la quantité) sinon le petit rire blême (3 occurrences du rire) et la lancinante litanie, comme si l’on cherchait à tout prix à y croire, à croire à quelque chose, à un peu d’espoir, d’amour, peut-être. Mais, cela, c’est de la broutille, un peu de poussières sur un grand établi. Combien de quantité d’amour poussiéreuse que la bascule, que le souffle du doute fait lui-même s’envoler indéfiniment ?

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  2. Parce que c’est bien cela le problème : il n’y a pas, dans ce texte, moyen de compter. Le « je » est comme laissé seul dans son jus. Il ne peut se borner à rien, et n’a de répères que lui-même, ses interrogations, toujours ses doutes (remarquez qu’Elle n’est inscrite dans l’ordre du réel qu’avec timidité : seules 4 occurrences de formules où « Elle » contrôle un prédicat, et encore, prédication limitée parce qu’il s’agit de conditionnel, de verbes de discours ou de volonté, transcription ambigüe de la subjectivité de l’autre : « elle pourrait savoir (…) elle le veut (…) elle danse (…) elle dit »). Nous sommes dans la tête d’un autre, cet autre : c’est le Poète non-comptable des mots.

    En vérité, l’incomptabilisé, figure suprême du Doute, touche à tout : à l’amour, à la morale, au rire, au doute lui-même. Combien suis-je dans le doute ? Quelle prise ai-je moi-même sur mon doute ? Tu n’en sais rien ? Et bien te voilà pris dans une entreprise de comptabilisation infinie de ton incertitude, qui s’achèvera sur le doute du doute : regarde, lecteur : tu n’oses même pas mettre le « ? » sur tes interrogations, sur le précipice insondable du doute !
    Rares sont les textes comme cela où l’auteur s’arrête avant la crevasse, la pointe du doigt, nous montre, avec une terreur et un effroi blancs, combien vertigineuse est cette distance qui nous sépare du sol. Le souffle nous a porté très haut, et peut-être trop. Lecteur, un pas de plus et te voilà perdu ! Pas de barrières, mais un doigt pointé, tremblant, emerveillé, vers le vide. Mais c’est cela qui est remarquable ! ce n’est pas un texte d’épluchure de la crevasse, enfermé dans sa cheminée, sous son conduit noir : c’est un texte qui ne borne pas mais pose de simples jalons. Ensuite, la marche nous attend.
    Un texte qui devrait tous nous glacer parce qu’il touche à ce qui n’a pas de limites, pas de bornes, justement, et donc pas de réponses. Une invitation à la grande déambulation. Puisqu’il n’y a pas de limite au langage, de limite à ton doute, de limite à ta voix. Que dois-je (lui) dire ? Cher lecteur, tu dois y répondre : tu dois poser, toi aussi, le jalon avec ton petit-minuscule-rien-du-tout « ? » qui limitera l’Everest du vertige, et circonscrira ta marche.
    Fassent les Dieux que la bascule du souffle, alors, ne soit pas contre toi, voyageur, et ne te fasse retomber dans le gigantesque précipice, dans le gigantesque désordre de la réponse.

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