lundi 16 mai 2011

Extrait.

" Ce n'était pas une colonne, mais une cohue, un torrent déchaîné qui emplissait la rue, c'était le "peuple d'en bas" affolé par la boisson et la souffrance, rugissant et se ruant enfin pour boire le sang de ses maîtres. Je l'avais déjà vu, ce peuple de l'Abîme: j'avais traversé ses ghettos, et croyais le connaitre; mais il me semblait aujourd'hui que je le voyais pour la première fois. Sa muette apathie s'était évanouie: il représentait à cette heure une force fascinante et redoutable, un flot qui s'enflait en lames de colère visible, en vagues grondantes et hurlantes, un troupeau d'humains carnivores ivres de l'alcool pillé dans les magasins, ivres de haine, ivres de l'odeur du sang; hommes en haillons, femmes en guenilles, enfants en loques; êtres d'une intelligence obscure et féroce, sur les traits desquels s'était effacé tout ce qu'il y a de divin, remplacé par tout ce qu'il y a de démoniaque dans l'homme; des singes et des tigres; des poitrinaires émaciés et d'énormes bêtes poilues; des visages anémiés dont tout le suc avait été pompé par une société vampire, et des figures bouffies de bestialité et de vice; des mégères flétries et des patriarches barbus à tête de mort; une jeunesse corrompue et une vieillesse pourrie; face de démons, asymétriques et torves, corps déformés par les ravages de la maladie et les affres d'une éternelle famine; rebut et écume de la vie, hordes vociférantes, épileptiques, enragées, diaboliques!
Et pouvait-il en être autrement? Le peuple de l'Abîme n'avait rien à perdre que sa misère et sa douleur de vivre. Et qu'avait-il à gagner?"

Le Talon de fer, Jack London.
Voilà un livre qui m'a beaucoup marqué, ce passage particulièrement. J'espère qu'il vous interpellera assez pour vous donner l'envie de le lire entièrement! Voilà, et désolée pour la longue absence.

3 commentaires:

  1. Effectivement : "qu'avait-il à gagner", dans cette "société-vampire" ?...
    Merveille de contre-utopie : effectivement, je le lirais bien ! ;)

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